[Avis d'expert] La concurrence dans l’énergie doit (et peut) faire converger l’intérêt des consommateurs avec l’intérêt général

Il y a 2 années 1016

La transition énergétique passera par une baisse des consommations ou ne se fera pas. La Stratégie Nationale Bas?Carbone[1] ne s’y est pas trompée, soulignant qu’« une évolution sociale à grande échelle (…) via notamment la promotion des modes de vie et de consommation plus sobres » est nécessaire. En la matière, on part de loin : la consommation d’électricité résidentielle a triplé depuis 30 ans, passant de 67 milliards de kWh en 1982 à 143,4 milliards en 2019[2], sans que cette hausse puisse être attribuée à la seule croissance de la population (+20,52% sur la période[3]).

Économisons notre énergie, donc ! Or, la course pernicieuse à un prix de l’énergie le plus bas possible incite en réalité à consommer davantage. Il est grand temps de repenser le cadre concurrentiel, non pour éviter que la concurrence fasse prétendument grimper les tarifs réglementés, comme on a pu le voir effrontément écrit récemment, mais bien pour permettre l’émergence d’offres accompagnant vraiment la transition énergétique et l’intérêt général.

Une guerre des prix délétère

Le prix est aujourd’hui l’alpha et l’oméga du marché de la fourniture d’énergie. Les raisons ? D’un côté, un cadre réglementaire laissant un espace très contraint aux acteurs alternatifs. De l’autre, la mise en avant du prix du kWh (la part variable de la facture) comme critère principal de choix, notamment par les comparateurs d’offres et les achats groupés, surfant sur les contraintes budgétaires des ménages. La guerre des prix a donc bien lieu, et fait disjoncter à plusieurs niveaux le secteur.

D’abord, en produisant les effets néfastes classiques du dumping par les prix : une énergie à prix toujours plus bas ne permet ni de rémunérer correctement les producteurs, ni d’investir dans des moyens de production verts et locaux (créateurs d’emploi et de valeur en France et source d’une réelle indépendance énergétique), ni de développer des offres innovantes au bénéfice du consommateur.

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Ensuite, en dégradant sensiblement l’impact environnemental du secteur : dans le secteur de l’énergie, les baisses de prix ont pour effet d’accroître la demande[4]. Concrètement, une offre promettant un rabais de 15% par rapport aux tarifs réglementés conduit, en moyenne, à une hausse de 10% de la consommation !


Enfin, en n’ayant qu’un intérêt réel quasi-nul pour les clients : la baisse faciale de tarif n’entraîne de réduction que sur une portion de la facture, puisqu’elle ne s’applique qu’au prix du kWh – hors prix de l’abonnement et taxes. Après effet rebond sur la consommation, une baisse « annoncée » de prix de 15% ne permet donc in fine de réduire la facture que de 1,5 à 2,2% !

Baisser Les factures plutôt que les prix

Pour réussir la transition énergétique, l’enjeu n’est donc pas une baisse court-termiste des prix, mais bien la baisse durable des factures. Le moyen le plus efficace à cet effet ? Diminuer la consommation, tout simplement, au bénéfice de la planète et des consommateurs.
Pour généraliser cette sobriété énergétique, plusieurs expérimentations de terrain5 ont montré l’efficacité d’un accompagnement dédié. L’arrivée des compteurs intelligents permet d’imaginer des innovations qui affineront cet accompagnement et en renforceront l’impact.

L’électrification, l’autre défi de la transition énergétique

En théorie économique, la concurrence est justement censée aiguillonner l’innovation (qui était d’ailleurs un objectif majeur de l’ouverture à la concurrence, dans un secteur énergétique quelque peu atone). Mais le cadre actuel ne laisse pas de place à l’émergence d’offres réellement innovantes. À de rares exceptions près, la course aux prix gangrène l’intégralité du marché. Les offres dites innovantes se limitent en réalité pour la plupart à de l’innovation commerciale (discounts sur certaines périodes de consommation, à l’achat de produits partenaires, ou à la souscription).

Le segment des offres "vertes" n’échappe pas au mouvement. Et le louable travail de labellisation, engagé sous l’égide de l’Ademe aux fins de mieux définir ces offres, se concentre sur les modes de production, sans prendre en compte l’effet rebond lié au prix, et marginalement l’incitation aux économies d’énergie…

Réinventer d’urgence la concurrence

Changer le paradigme de la fourniture d’énergie devient donc un impératif urgent.

Compliqué ? Non : il suffit de concevoir enfin l’ouverture à la concurrence comme une opportunité de réaliser la transition énergétique, et non comme une injonction imposée depuis Bruxelles. De ne pas rendre les fournisseurs alternatifs inutiles, mais de leur permettre au contraire, conformément aux objectifs initiaux, d’apporter des innovations au-delà des baisses de prix - via de nouvelles offres faisant appel, par exemple, à l’effacement, à la réalisation d’économies d’énergie effectives, ou encore favorisant de nouveaux modèles de production (renouvelable, locale, citoyenne).

Et de mettre en place un cadre réglementaire favorable, plus simple et stable, qui leur permettrait, si ce n’est d’en faire un standard de marché au bénéfice des générations futures, a minima de se développer à armes égales avec la concurrence historique.


Par Vincent Maillard, co-fondateur et président de Plüm énergie


Les avis d'expert et tribunes sont publiés sous la responsabilité de leurs auteurs et n'engagent en rien la rédaction de L'Usine Nouvelle.


[1] https://www.ecologie.gouv.fr/sites/default/files/2020-03-25_MTES_SNBC2.pdf

[2] https://www.statistiques.developpement-durable.gouv.fr/sites/default/files/2020-12/consommation-energie-parc-residentiel-2019.xlsx

[4] Étude « L’élasticité-prix de la demande d’électricité en France », revue Economie et Statistique de l’INSEE : https://www.insee.fr/fr/statistiques/4467133?sommaire=4467460

5 Telle l’initiative « Déclics » du réseau associatif CLER : https://defis-declics.org/fr/

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