Le projet français de biocarburants de deuxième génération Futurol vient d’entrer en phase d’industrialisation. Cinq unités de biocarburants 2G à l’échelle industrielle sont actuellement en service dans le monde. Le développement de ces agrocarburants produits à partir de la ligno-cellulose des plantes suscite des craintes sur le plan environnemental. Il faudra en particulier s’assurer de gérer au mieux la matière première. Sous réserve que ce soit le cas, l’Union européenne a une belle carte industrielle à jouer.
Le projet de bioéthanol de deuxième génération (2G) Futurol vient d’entrer dans la phase d’industrialisation, ont annoncé début juin ses 11 partenaires1. Une unité à grande échelle devrait être mise en service en 2016 sur le site Tereos de Bucy-le-Long (Aisne). Objectif : démontrer que le procédé Futurol fonctionne à l’échelle industrielle, ce qui permettra ensuite de le commercialiser.
L’industrialisation des biocarburants 2G est donc en marche. Au niveau mondial, 5 unités de taille industrielle fonctionnent déjà : une en Italie (la première à avoir été mise en service, en 2013), trois aux États-Unis et une au Brésil.
L’intérêt des biocarburants 2G ? Ils exploitent la ligno-cellulose des plantes, non comestible. Ils n’entrent donc pas en concurrence avec les productions alimentaires, contrairement au biogazole et au bioéthanol de 1ère génération.
Certains défenseurs de l’environnement s’inquiètent néanmoins de leur développement : "Que ce soit dans le nucléaire, les OGM (organismes génétiquement modifiés) ou les biocarburants, les industriels parlent toujours de nouvelles générations pour rassurer face à des évolutions techniques posant problème. Mais les nouvelles générations n’apportent généralement aucune amélioration réelle", estime Christian Berdot, de l’ONG Les Amis de la Terre.
Ne pas empêcher sols et forêts de se régénérer
Parmi les sujets d’inquiétude, la matière première nécessaire. Des résidus agricoles ou forestiers peuvent notamment être utilisés. Or "Cette ressource est nécessaire aux forêts et aux sols agricoles pour qu’ils puissent se régénérer", explique Christian Berdot. Sans quoi il faut pour compenser utiliser beaucoup d’intrants. En outre, "De nombreuses filières (biocarburants, méthanisation, bois énergie…) entendent exploiter les mêmes ressources mais elles ne se concertent pas pour cela", s’inquiète-t-il.
La production de biocarburants 2G doit effectivement se faire de manière raisonnée, souligne Pierre Porot, responsable du programme "Biomasse vers carburants" à l’IFP Énergies Nouvelles, l’un des partenaires du projet Futurol. Pas question de prélever toute la ressource : "Des études sérieuses sont faites pour s’assurer d’en laisser suffisamment pour régénérer les sols. Dans les pays scandinaves, les forêts sont exploitées intensivement et continuent pourtant à croître : c’est faisable", assure-t-il. La Finlande s’est d’ailleurs fixé un objectif d’incorporation de biocarburants 2G de 40 % à l’horizon 2030, tout en affichant sa volonté de le faire dans le plus grand respect de l’environnement.
S’assurer de baisses réelles des émissions de GES
Selon le chercheur de l’IFPEN, "Les analyses de cycle de vie montrent que, dans le meilleur des cas, les réductions d’émissions de gaz à effet de serre peuvent atteindre 90 % par rapport aux carburants fossiles". Les biocarburants 1G diviseraient les rejets de CO2 par deux et les biocarburants 2G, par 5 à 10.
Mais, tout comme dans le cas de la 1ère génération, les résultats sont très variables suivant la manière de réaliser les calculs : "Selon une étude du National Research Council américain, dans la mesure où le carbone prélevé ne retourne pas dans le sol, le bioéthanol 2G émet à court terme 7 % de GES de plus que l’essence pétrolière", indique Christian Berdot.
Autre motif d’inquiétude pour Les Amis de la Terre : le recours au génie génétique et à la biologie de synthèse. Certaines entreprises modifient des micro-organismes à même de transformer la ligno-cellulose afin d’améliorer le rendement du procédé. Ces MGM (Micro-organismes génétiquement modifiés) risquent-ils de se disséminer dans la nature ?
"Les déinocoques que nous utilisons restent confinés dans le bio-réacteur. Et il n’y a rien de génétiquement modifié dans l’éthanol produit au final", rassure Coralie Martin, en charge de la communication de la société française de cleantech Deinove. "Autant je comprends le débat sur les OGM, autant le risque de propagation des MGM est infime. L’utilisation de MGM se fait déjà et elle est très encadrée", explique Pierre Porot.
Quelle sera la place de l’UE dans le secteur ?
Le spécialiste de l’IFPEN s’inquiète bien davantage des incertitudes réglementaires dans l’Union européenne, qui pourraient freiner le développement des biocarburants 2G. L’UE a fixé un objectif de 10 % d’énergies renouvelables (ENR) dans les transports pour 2020. Elle a dans ce cadre limité la place de la 1G à 7 %, ouvrant ainsi la voie à la 2G. Mais pour 2030, l’UE n’a à ce jour fixé aucun objectif d’ENR spécifique aux transports.
"C’est une très mauvaise nouvelle pour les biocarburants. Car si le seul objectif est de réduire les émissions de GES, mieux vaut utiliser la biomasse pour produire de la chaleur. Mais la création de valeur est alors beaucoup plus faible", souligne Pierre Porot. Le risque, d’après lui, c’est que les États-Unis et le Brésil, qui ont "des politiques plus claires et ambitieuses", devancent l’Europe dans les biocarburants 2G.
"L’Europe (et notamment la France) n’est pas en retard dans le domaine de la biologie industrielle", rassure de son côté Marc Delcourt, le directeur général de Global Bioenergies, société française spécialisée dans ce domaine.
Le gouvernement français lance d’ailleurs une mission visant à mettre en place une filière française du biokérosène. La ministre de l’Écologie et de l’Énergie Ségolène Royal l’a annoncé le 18 juin à l’occasion du salon aéronautique du Bourget. La solution retenue devra être "respectueuse de l’environnement, avec des procédés non consommateurs de terres dédiées à l’alimentation", a-t-elle précisé.
L’avenir européen des biocarburants de deuxième génération se joue actuellement. L’UE, qui a perdu des emplois dans le secteur des énergies renouvelables en 2014 selon l’IRENA2, a une carte à jouer. Mais à deux conditions, impératives : d’abord, s’assurer de le faire en préservant l’environnement, pour éviter à terme les mêmes limitations qu’avec la 1ère génération. Ensuite, refuser que les biocarburants 2G ne servent qu’à remplacer du pétrole. Car il faut avant tout réduire fortement les consommations de carburant.
[1] IFP EN, ARD, INRA, Lesaffre, Office national des forêts, Tereos, Total, Vivescia, Crédit Agricole Nord Est, CGB, Unigrains
[2] Agence internationale pour les énergies renouvelables