Captage et stockage du carbone : des avancées et des doutes

Il y a 9 années 903

Publié le 12 novembre 2014

Pour la première fois au monde, un projet de Captage et stockage de carbone (CSC) à grande échelle vient d’être mis en service dans une centrale électrique. Seuls 22 projets de CSC de cette envergure sont opérationnels ou en construction sur la planète. A la clé : récupérer le CO2 produit par les sites industriels et le stocker dans des sous-sols géologiques adaptés. La technique est au point, c’est son développement qui est freiné. Pourtant, de nombreux scénarios jugent cette technologie absolument nécessaire pour répondre aux objectifs de baisse des émissions de gaz à effet de serre.

C’est une première mondiale qui a eu lieu au Canada en octobre. Un projet de Captage et stockage de carbone (CSC) à grande échelle a été inauguré dans une centrale électrique, la centrale au charbon de Boundary Dam, dans la province de Saskatchewan.

Les projets de CSC ont de quoi convaincre: ils permettent d’éviter l’émission dans l’atmosphère du CO2 (ou dioxyde de carbone) produit par des sites industriels tels que centrales électriques, usines sidérurgiques, chimiques… Ils récupèrent ce CO2 pour le transporter jusqu’à des sites géologiques adaptés à son stockage dans le sous-sol. Ces sites géologiques peuvent être d’anciens gisements pétroliers ou gaziers épuisés, des veines de charbon ou des roches imprégnées d’eau salée impropre à la consommation (appelées aquifères salins).

À ce jour, 22 projets de CSC à grande échelle sont opérationnels ou en construction à travers le monde. C’est ce qu’a indiqué le 5 novembre dernier, dans son rapport 2014, le Global CCS Institute. C’est deux fois plus qu’au début de la décennie, a précisé cette organisation mondiale qui regroupe des industriels, gouvernements, instituts de recherche, etc. en vue de promouvoir le CSC.

0,1 % des émissions mondiales annuelles captées et stockées

Les 22 projets actuels devraient éviter l’émission d’environ 40 millions de tonnes de CO2 par an au total. Cela équivaut aux rejets d’un pays comme la Suisse ou le Danemark, mais ne représente guère que 0,1 % des émissions annuelles mondiales. Dans ses scénarios, l’Agence internationale de l’énergie estime que le CSC pourrait contribuer à une baisse des émissions globales de CO2 de 19 % à l’horizon 2050. On est donc loin du compte pour le moment.

Le déploiement de cette solution de lutte contre le changement climatique souffre de plusieurs freins. "Sur le plan technologique, on sait faire", assure Daniel Clément, le président du Club CO2 de l’Ademe(1).  Mais pour rentabiliser les coûteux projets de CSC, le prix du CO2, aujourd’hui de quelques euros par tonne sur le marché européen, est bien trop bas. Daniel Clément estime qu’un prix de plus de 100 €/t sera à l’avenir nécessaire pour y parvenir.

Plus optimiste sur les évolutions technologiques et économiques à attendre, Minh Ha-Duong, directeur de recherche au CNRS(2), évoque de son côté un niveau de 40 €/t. "Même si des décisions fortes sont prises lors de la COP21(3), je ne vois pas le prix du carbone atteindre un tel niveau avant 20 ans", ajoute-t-il. Autant dire que la multiplication des projets de CSC n’est pas encore pour tout de suite.

Une solution sans risques ?

Certains, d’ailleurs, s’en félicitent, estimant que ce n’est pas une bonne solution pour réduire les émissions de gaz à effet de serre. Pour Cyrille Cormier, chargé de campagne Énergie et Climat chez Greenpeace France, la lutte contre le changement climatique doit reposer sur les énergies renouvelables et l’efficacité énergétique, qui sont des solutions disponibles dès aujourd’hui. "Le CSC est une option risquée. Il est envisagé de stocker du CO2 dans d’anciens réservoirs pétroliers, dont on sait très bien qu’ils fuient", affirme-t-il.

"On ne sait pas ce qui se passera à long terme pour le stockage, par exemple en cas de tremblement de terre. La problématique est un peu la même que pour l’enfouissement des déchets nucléaires", poursuit-il. Une fuite pourrait entraîner une augmentation létale de la concentration de dioxyde de carbone au niveau local. En 1986, la libération de gaz carbonique naturellement contenu dans le lac Nyos, au Cameroun, avait tué 1800 personnes.

Impossible de faire sans cette technologie ?

Daniel Clément ne partage pas ces inquiétudes. L’industrie pétrolière injecte d’ores et déjà du CO2 dans les gisements d’hydrocarbures pour y améliorer le taux de récupération. Dans les champs gaziers, le gaz naturel est resté piégé sur de très longues périodes sans s’échapper, rappelle-t-il également. Le président du Club CO2 de l’Ademe n’en comprend pas moins la position de Greenpeace. "Le CSC peut être perçu comme un encouragement à continuer à consommer des énergies fossiles", reconnaît-il.

Mais, dans les faits, il semble difficile de faire changer rapidement les comportements de pays comme la Chine ou l’Inde, qui continuent à construire de nombreuses centrales à charbon qui émettront du CO2 pendant encore des décennies, souligne Daniel Clément. D’après lui, "il sera donc très difficile d’atteindre les objectifs d’émissions de CO2 à l’horizon 2050 sans CSC". Minh Ha-Duong juge même "impossible d’avoir des objectifs ambitieux en la matière sans Captage et stockage du carbone".

Le GIEC(4) lui-même, dont la synthèse du 5e rapport d’évaluation sur le climat alerte une nouvelle fois sur la hausse dramatique des émissions, estime cette technologie à envisager. Dans une phase transitoire et au sein d’un bouquet de solutions de lutte contre le changement climatique. Car, à terme, ce sont bien les énergies renouvelables et l’efficacité énergétique qui devraient résoudre le problème des émissions de CO2.

(1) Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie. (2) Centre national de la recherche scientifique.
(3) La 21e Conférence des Parties de la Convention-Cadre des Nations Unies sur les Changements Climatiques (CCNUCC), qui aura lieu à Paris fin 2015. (4) Groupe intergouvernemental d’experts sur l’évolution du climat.

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