Les pays de l’Opep+ doivent décider, dimanche premier juin, s’ils prolongent leurs baisses volontaires de production de pétrole. Une décision sous pression de quatre pays non membres du cartel – les Etats-Unis, le Canada, le Brésil et le Guyana –, dont la production croît rapidement.
L’Opep+ fait face à la concurrence de l’Amérique. Alors que les 22 pays membres de l’alliance élargie des pays exportateurs de pétrole se réunissent en visioconférence dimanche 1er juin, leurs décisions devront se lire au regard du dynamisme de la production de pétrole hors de ce cartel historique. «L’enjeu pour l’Opep + est de décider s’ils vont ou non continuer à resserrer le robinet de l’offre, alors qu’en même temps la production de pétrole est en hausse notable en Amérique», résume Francis Perrin, chercheur spécialiste du pétrole au sein de l’Iris.
Aux Etats-Unis, le pétrole de schiste fait feu de tout bois
Pour équilibrer le marché et soutenir le prix du brut, «les pays de l’Opep réduisent volontairement leur production depuis l’automne 2022, et ont donné plusieurs tours de vis supplémentaires en 2023 et 2024», retrace Francis Perrin. Mais malgré ces efforts et les tensions géopolitiques, les cours de l’or noir restent modérés. Après un pic en avril, le baril de Brent se monnaye autour de 82 dollars en mai. Loin des 100 dollars le baril qu’aimerait atteindre Riyad, mais «un prix acceptable pour les exportateurs de pétrole même si certains aimeraient un niveau plus élevé», précise le chercheur pour qui «il ne fait aucun doute que les cours du brut seraient plus bas qu’ils ne le sont actuellement», si l'Opep+ n'avait pas réduit sa production.
Pourquoi la stratégie de l’Opep+ ne paie-t-elle pas davantage ? Des incertitudes existent sur la réalité des coupes, qui ne concernent pas tous les membres du cartel. Mais les dernières statistiques de production de l’AIE, parues mi-mai, sont éclairantes quant aux dynamiques du marché. Selon l’institution chargée d'étudier la sécurité de l’approvisionnement énergétique mondial, la demande de pétrole devrait augmenter de 1,1 million de barils par jour (bpj), soit une hausse de 1% prévue en 2024, et d’un ordre de grandeur similaire en 2025. Mais l'offre suit, notamment hors de l'Opec. Si les coupes de production se poursuivent, le cartel devrait produire en moyenne 840 000 barils par jour de moins qu’en 2023. Dans le même temps, la quantité d’or noir extraite par les pays non membres augmentera de 1,4 million de barils quotidiens en 2024, autant en 2025!
À eux seuls, les États-Unis sont à l’origine de près de la moitié de cet afflux. Depuis des années, le pays s’est imposé comme roi des hydrocarbures, augmentant régulièrement sa production de pétrole de schiste et de gaz naturel, entre autres depuis le très prisé bassin Permien. Si l'on additionne le pétrole brut et les condensats de gaz naturel (des hydrocarbures liquides issus de la production de gaz naturel, qui représentent un tiers du pétrole produit aux États-Unis et servent notamment la pétrochimie), le pays devrait produire plus de 20 millions de barils par jour en 2024, estime l’AIE. Loin devant la Russie et l’Arabie Saoudite, qui ne produiront respectivement “que” 10,5 et 9 millions de barils de brut par jour.
Le Brésil et le Guyana ne font que commencer
Problème supplémentaire du point de vue de l'Opep : alors les États-Unis produisent principalement pour leur marché intérieur, d’autres pays du continent américain dopent leurs capacités d’extraction de pétrole pour l’exporter. C’est le cas du Canada, qui avec 6 millions de bpj «est déjà le quatrième producteur mondial grâce à ses ressources non conventionnelles et continue d’augmenter sa production», rappelle Francis Perrin. Référence aux sables bitumineux minés à l’ouest du pays, particulièrement dans la province de l’Alberta, dont l’empreinte environnementale très lourde n’obère pas l’attractivité aux yeux des sociétés pétrolières nord-américaines. L’inauguration, fin avril, de l'extension du Trans Moutain Pipeline (TMX), un oléoduc controversé de plus de 1100 km pensé pour simplifier les exportations vers l’Asie, devrait doper cette production de sables bitumineux et le rôle du Canada dans le marché pétrolier.
Derniers acteurs à prendre en compte enfin : le Brésil et le Guyana, qui misent tous deux sur le développement de leurs gigantesques réservoirs offshore, développés via des plateformes flottantes. Via l’entreprise d’État Petrobras, le premier produira plus de 3,5 millions de barils par jour en 2024, et 3,8 en 2025. Le second, petit État encore inconnu sur la carte du pétrole en 2019, a connu une ascension fulgurante portée par d’importants investissements d’ExxonMobil sur le permis de Stabroek, qui devraient lui permettre de produire 1,3 millions de bpj fin 2027 (contre 640 actuellement). «C’était encore zéro fin 2019 !» souligne Francis Perrin, en pointant que les deux pays d’Amérique du Sud continuent d’explorer leurs sols marins pour accroître leurs réserves, déjà très importantes. De quoi pousser l’Opep à courtiser ces deux acteurs tandis que les controverses fusent à l'encontre de leur stratégie de croissance, incompatible avec la lutte contre le réchauffement climatique.