Publié le 17 novembre 2020
Le premier réacteur nucléaire a été mis en service en 1954. Pourtant, près de 70 ans plus tard, aucune solution de stockage définitif n'a encore été mise en place pour accueillir les déchets les plus radioactifs. Ceux-ci représentent plus de 60 000 tonnes rien qu'en Europe, dont un quart se trouve en France. C'est ce que révèle le premier Rapport mondial sur les déchets nucléaires, réalisé par une dizaine d'experts internationaux, en partenariat avec la fondation Heinrich-Böll et Les Verts européens.
Leur quantité peut paraître raisonnable mais ils concentrent la très grande majorité de la radioactivité. En Europe (hors Russie et Slovaquie), 60 000 tonnes de combustibles usés sont actuellement entreposés, pour leur grande majorité en piscines de refroidissement, en attente d’une solution définitive de stockage. La France détient un quart de ces combustibles usés, devant l’Allemagne (15 %) et le Royaume-Uni (14 %). Mais pour l’heure, aucun pays, ni en Europe, ni dans le monde, ne dispose de solution de stockage définitif, selon le premier Rapport mondial sur les déchets nucléaires, réalisé par une dizaine d’experts internationaux (1).
La Finlande est le seul pays à construire actuellement un tel site. Les combustibles usés, placés dans des conteneurs en cuivre résistants à la corrosion et enrobés d’argile, seront stockés à 500 mètres de profondeur. Outre la Finlande, la Suède et la France sont parvenus à déterminer un lieu d’implantation géologique tandis qu’une quinzaine de pays réfléchit à mettre en place de telles installations. Les États-Unis exploitent par ailleurs depuis 1999 un site destiné aux déchets à vie longue provenant du programme nucléaire militaire, stockés dans des dômes de sel à plus de 650 mètres de profondeur.
Des capacités d'entreposage qui risquent de saturer
En France, c’est le site de Cigeo à Bure, à cheval sur la Meuse et la Moselle, qui a été choisi. L’Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs (Andra) y teste depuis le début des années 2000 l’enfouissement de déchets nucléaires de haute activité et à vie longue à 500 mètres de profondeur. Malgré une vive opposition sur le terrain, l’Andra a déposé début août une demande de déclaration d’utilité publique qui ouvrira la voie à une enquête publique. À terme, le projet devra accueillir 85 000 m3 de déchets nucléaires hautement radioactifs d’ici 2100. Les premiers colis devraient être acheminés en 2035.
En attendant, ils "dorment" pour la plupart dans l’une des quatre piscines de La Hague, dans la presqu'île du Cotentin, avant d’être traités et entreposés. Mais ces capacités d’entreposage devraient arriver à saturation à l’horizon 2030 et la nouvelle piscine d’entreposage envisagée par EDF ne devrait pas voir le jour avant 2034. "S’il n’y a pas d’alternative en 2030, les réacteurs risquent de devoir s’arrêter car on ne peut pas décharger les combustibles usés des réacteurs s’il n’y a pas d’endroit pour les entreposer”, imagine Manon Besnard, de l'institut français Négawatt, contributrice du rapport. Ailleurs, la situation est encore plus à risque, avec un niveau de saturation de 93 % en Finlande et 80 % en Suède.
Le retraitement remis en cause
Le document pointe aussi le fait que la France soit l’un des rares pays au monde à retraiter ses combustibles, la plupart ayant suspendu ou arrêté définitivement cette pratique. "Le retraitement produit beaucoup de matières nucléaires et rend finalement leur gestion plus compliquée et dangereuse avec un gain sur la matière brute qui reste marginale face aux risques" alerte Yves Marignac, de l'institut Négawatt. "C'est d'autant plus vrai que la perspective que tout va être réutilisé est une illusion. Le retraitement, qui servait une stratégie industrielle de surgénérateurs aujourd'hui été abandonnée, doit être stoppé avant de nous plonger dans une impasse ingérable".
Dans un avis du 8 octobre, l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) a créé la surprise en estimant qu’une part significative de la matière radioactive dite valorisable correspond en fait à des déchets radioactifs, qu’il va falloir gérer et stocker comme tels. Une orientation à contre-courant de la doctrine défendue jusqu'alors par la filière nucléaire française qui voulait que tout matériau nucléaire ayant un potentiel énergétique soit considéré comme valorisable. De son côté, Orano rejette toute requalification en déchet et assure qu'il pourrait devenir rentable de réenrichir l'uranium appauvri - qui représente plus de 300 000 tonnes - à partir de 2025-2026.
Concepcion Alvarez @conce1
(1) Voir le Rapport mondial sur les déchets nucléaires publié dans sa version française le 4 novembre.