Contre toute attente, c’est l’américain Air Products qui a décroché le premier contrat de fourniture d’hydrogène vert pour décarboner les raffineries européennes de TotalEnergies. Le concurrent d’Air Liquide n’a pourtant pas de projet de production d’hydrogène vert en Europe. Il investit en revanche massivement dans le controversé projet Neom en Arabie saoudite.
Sa provenance n’est pas précisée. On sait juste que l’hydrogène vert viendra “du réseau d’Air Products”. Or de sa stratégie hydrogène vert, le producteur américain de gaz de l’air concurrent d’Air Liquide, qui a réalisé 13,5 milliards de chiffre d’affaires en 2023 et compte plus de 22 000 employés dans 50 pays, dont 300 en France, ne dit pas grand-chose. «Air Products est une boite d’ingénieurs, plutôt discrète dans ses communications», explique à L’Usine Nouvelle David Martin, le vice-président France d’Air Products.
Le pari d'une gigafactory en Arabie Saoudite
A ce jour, le seul projet connu de production d’hydrogène vert de l’américain est celui qu’il construit en Arabie saoudite sur le site de la ville nouvelle futuriste Neom, dans la province de Tabuk, dans le Nord-ouest du royaume, qui devait (à l'origine du projet) s'étendre sur 170 km entre la mer Rouge et des montagnes culminant à plus de 2 500 m, à proximité de la Jordanie, de l'Égypte et d'Israël. Un projet pharaonique controversé, entaché d’atteintes aux droits de l’homme (jusqu’à l’assassinat d’opposants au projet), qui accumule les déboires et sera finalement 70 fois plus petit. Mais en mai 2023, Air Products annonçait que sa coentreprise Neom Green Hydrogen Company (NGHC) détenue à parts égales avec ACWA Power, spécialiste saoudien de la production d’électricité et du dessalement d’eau de mer, avait pris la décision finale d’un investissement de 8,4 milliards de dollars dans la plus grande usine d’hydrogène vert du monde, dont 6,1 milliards contractés sous forme d'emprunt auprès de 23 banques.
L'écoulement pendant 30 ans de la totalité de la production du site sous forme d'ammoniac vert serait garanti, assure un communiqué, sans que soit précisé vers où ou par qui, si ce n'est Air Products lui-même. C’est d’ailleurs l’américain qui assure l’ingénierie, l'approvisionnement et la construction du projet. Les travaux ont débuté et les premiers électrolyseurs TyssenKrupp/Nucera seraient même déjà en phase de test, indique David Martin. Le site doit produire 600 tonnes d’hydrogène par jour à partir de début 2027. Mais à ce stade, si rien n’indique officiellement que cet hydrogène vert alimentera TotalEnergies, David Martin remarque que c’est le premier “acheteur” d’hydrogène vert. Alors que Neom était pour Air Products un “pari” car lancé initialement sans contrat.
Mais de l'hydrogène bleu ailleurs
Or, les autres projets d’hydrogène bas-carbone d’Air Products, qui fait de la petite molécule une priorité stratégique, sont de l’hydrogène bleu, à base de gaz naturel avec capture de CO2. En novembre 2023, l’industriel américain a indiqué qu’il allait fournir en hydrogène bleu la raffinerie ExxonMobil de Rotterdam aux Pays-Bas, en ajoutant une unité de capture et traitement de CO2 (CCS) sur son unité de production d’hydrogène gris à base de gaz de Rotterdam. Le CO2 sera ensuite stocké dans d’anciens champs de gaz en mer du Nord à 20 km des côtes dans le cadre du projet Porthos. L’installation, qui doit être opérationnelle en 2026, serait alors “la plus grande usine d'hydrogène bleu d'Europe”, indique l’entreprise. D’autres projets d’hydrogène bleu devraient être annoncés au Canada et aux États-Unis. Et en Europe, Air Products a fait des annonces aux Pays-Bas, au Royaume-Uni et en Allemagne dans le domaine des carburants propres produits avec l’ammoniac vert de Neom. «On regarde aussi l’Europe du Sud dont la France», indique David Martin.
Le fait qu’en parallèle du contrat avec Air Products, TotalEnergies ait aussi signé avec le producteur de gaz un protocole d'accord global portant sur la fourniture d'énergie renouvelable qui prévoit la signature d'un premier contrat de vente d'électricité de 150 mégawatts produits par un projet solaire au Texas, n’indique en revanche rien sur la production d’hydrogène vert outre-Atlantique. Pour l’instant, Air Products reste un producteur d’hydrogène gris. Il en produit 9000 tonnes chaque jour pour plus de 170 000 clients et un million et demi de véhicules via 250 stations-services à hydrogène dans le monde.