La Norvège vient d'inaugurer le plus grand parc éolien flottant au monde. Mais ce qui apparaît à première vue comme une bonne nouvelle est en fait le signe que le business as usual est toujours à l'œuvre. Le projet, porté par Equinor, va uniquement servir à alimenter les plateformes pétrolières et gazières voisines. Certes, leur bilan carbone s'en trouvera amélioré, mais c'est un signe de plus que la sortie des énergies fossiles est encore loin.
C’est le plus grand parc éolien flottant au monde. Inauguré le 23 août dernier au large de la côte ouest de la Norvège, le champ Hywind Tampen est doté de 11 turbines géantes situées à 140 kilomètres des côtes, pour une capacité de production globale de 88 mégawatts. Mais outre sa spécificité technique inédite, c’est son usage qui surprend. Il s’agit en effet du premier parc éolien flottant au monde construit spécifiquement pour alimenter des installations pétrolières et gazières offshore. Il va ainsi fournir 35% des besoins en énergie des cinq plateformes pétrolières et gazières voisines en mer du Nord.
Hywind Tampen va permettre de réduire les émissions de CO2 des principaux producteurs de pétrole et de gaz de la mer du Nord de 200 000 tonnes par an, soit 0,4% des émissions norvégiennes. "L'expérience acquise avec Hywind Tampen permettra à Equinor de construire plus grand, de réduire les coûts et de bâtir une nouvelle industrie sur les épaules de l'industrie pétrolière et gazière", a déclaré dans un communiqué Siri Kindem, la responsable des énergies renouvelables au sein d’Equinor Norvège. Mais ce projet montre surtout que la stratégie des pétro-gaziers est bel et bien de poursuivre le business as usual.
"La production de pétrole et de gaz doit rester à un niveau élevé"
C’est ce que révèle aussi une nouvelle étude publiée par Greenpeace cet été. L’ONG a passé au crible les rapports annuels de douze grandes entreprises européennes actives dans le gaz et le pétrole. Elle indique que leurs engagements climatiques et leurs promesses de transition vers les énergies renouvelables sont totalement contredites par la réalité. Si la plupart des compagnies analysées ont promis le "net zéro" d’ici 2050, "aucune d’entre elles n’a développé de stratégie cohérente pour atteindre cet objectif", prévient Greenpeace. Selon le rapport, la grande majorité prévoit au contraire de maintenir, voire d’augmenter sa production de pétrole et de gaz au moins jusqu’en 2030.
Equinor n’échappe pas à la règle. Ainsi, selon l’énergéticien norvégien, cité dans le rapport, "la production fossile de pétrole et de gaz doit rester à un niveau élevé et inchangé au moins jusqu’en 2030" et "il y aura toujours un besoin de pétrole et de gaz dans le mix énergétique de 2050". Et cela se traduit très concrètement : les énergies renouvelables n’ont représenté que 3% des investissements totaux et 0,13% de la production d’énergie de la major en 2022. Si celle-ci s’est engagée à atteindre la neutralité carbone en 2050, elle n’a pour l’instant fixé que des objectifs limités pour y arriver.
"Crime contre le climat et les générations futures"
Equinor prévoit ainsi de réduire ses émissions de gaz à effet de 50% d’ici 2030 pour les scopes 1 et 2 (à savoir les émissions directes et celles indirectes liées à l'énergie). L'électrification des installations pétrolières et gazières est donc une condition nécessaire pour que la compagnie atteigne ses objectifs climatiques. Mais pour ce qui est ce du Scope 3, celui qui englobe toutes les émissions indirectes liées aux activités de l'entreprise et logiquement celui qui pèse le plus lourd, Equinor se contente de promettre une réduction de son intensité carbone, soit les émissions de gaz à effet de serre générées pour produire un baril de pétrole. Mais si le nombre de barils de pétrole augmente, les émissions globales ne vont logiquement pas baisser.
"Alors que le monde subit des vagues de chaleur sans précédent, des inondations meurtrières et des tempêtes qui s’intensifient, les grandes sociétés pétrolières s’accrochent à leur modèle économique destructeur et continuent d’alimenter la crise climatique, fustige Hélène Bourges, responsable de la campagne Énergies fossiles à Greenpeace France. Le refus des grandes entreprises pétrolières et gazières de mettre en œuvre un véritable changement est un crime contre le climat et les générations futures".
Une stratégie validée par le gouvernement norvégien. Le pays, plus grand producteur de pétrole et de gaz en Europe occidentale, s’est quant à lui engagé à diminuer de 55% ses émissions de gaz à effet de serre d’ici 2030, sans abandonner les énergies fossiles. En juin dernier, il a ainsi donné son feu vert aux compagnies pétrolières pour développer 19 champs de pétrole et de gaz avec des investissements de près de 17 milliards d'euros dans le cadre d'une stratégie visant à accroître la production au cours des prochaines décennies. Or, pour respecter l’Accord de Paris, l'Agence internationale de l'énergie préconise de renoncer à tout nouveau site pétrolier ou gazier au-delà des projets déjà engagés.