Les managers décarbonation inventent le futur de la filière du bâtiment (1/5)

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C'est le branle-bas de combat dans les entreprises du bâtiment. Il faut réduire à néant les émissions de CO2 d'ici 2050. Les "managers décarbonation" redoublent d'ingéniosité pour transformer la filière malgré des coûts financiers conséquents. Toute la semaine, Novethic vous dévoile les dessous des nouveaux métiers clés de la transition écologique.

Ciment, béton, verre… Chaque nouveau bâtiment sorti de terre rejette des quantités significatives de CO2 liées à la production des matériaux. En y ajoutant la consommation d'énergie quotidienne, le secteur génère 22% des émissions de gaz à effet de serre en France. Sa transition doit accélérer : l'Europe vise un parc immobilier "zéro émissions" d'ici 2050. Les solutions existent mais sont souvent moins rentables. Or il n'est pas question de limiter la transition à quelques produits hors de prix. Il faut d'ores et déjà trouver des compromis pour réduire les émissions de l'ensemble des activités des entreprises. C'est la mission des "managers décarbonation", cités dans le top 5 des métiers à impact qui recrutent selon le classement 2022 de Birdeo.

Depuis 4 ans, Emmanuel Abt occupe le poste clé de responsable de la décarbonation chez Saint-Gobain, entreprise spécialisée dans la production de matériaux pour l'habitat et l'industrie. "J'organise la mise en place de solutions de décarbonation et je conseille mes homologues dans une trentaine d'usines sur la faisabilité technique", explique-t-il. Il s'occupe spécifiquement de la filière "verre plat", la production de panneaux lisses servant aux vitres et miroirs. Une mission cruciale car c'est la filière la plus émissive du groupe. Les solutions proviennent d'une large équipe de recherche et développement interne ou bien de propositions d'entreprises extérieures. "Mon rôle est de concentrer ces informations et d'analyser lesquelles sont les plus prometteuses", précise-t-il.

"Identifier les solutions les plus prometteuses"

L'ingénieur, avec 30 années d'expériences dans la direction des opérations des usines de Saint-Gobain, a acquis une véritable expertise technique. "Cela me permet d'interagir plus facilement avec les usines, c'est très concret", s'enthousiasme Emmanuel Abt. Il faut dire que les solutions doivent être personnalisées.  "Lorsqu'on parle de l'Europe ou de l'Inde, les possibilités ne sont pas les mêmes. Par exemple, il est plus facile d'avoir des énergies vertes en Europe qu'en Chine. Egalement, en Inde, la main d'œuvre est moins chère qu'en Europe, les solutions sont moins mécanisées", pointe-t-il.

Une fois qu'il a tous les calculs en tête, le spécialiste de la décarbonation doit faire des pieds et des mains pour défendre des investissements coûteux. "Nous travaillons fortement au passage à l'électrique, une énergie actuellement plus coûteuse que le gaz", explique Emmanuel Abt. Un sujet crucial car l'énergie représente 70% des émissions de CO2 de la fabrication du verre, chauffé à 1300 degrés. Emmanuel Abt étudie aussi comment économiser l'énergie avec la récupération de la chaleur perdue ou encore l'amélioration de l'efficacité énergétique des fours. Si les produits les plus décarbonés restent actuellement réservés à des gammes premium, "la massification devrait permettre de réduire les coûts", juge le spécialiste.

"Certains pays ont des réseaux de collecte plus avancés, comme l'Allemagne"

Son travail ne s'arrête pas aux usines de Saint-Gobain. Il faut aussi toquer aux portes d'entreprises susceptibles de fournir des chutes de verres. Ces dernières sont pilées et intégrées sous le nom de "calcin" dans la recette du verre neuf, ce qui réduit drastiquement les émissions de CO2 globales. Cela évite les rejets de CO2 liés à la transformation chimique du sable en verre en plus de demander moins d'énergie de chauffage. Pour récupérer ces précieux déchets, le responsable de la décarbonation a dans son viseur les secteurs du bâtiment mais aussi de l'automobile. "Certains pays ont des réseaux de collecte avancée, comme l'Allemagne. D'autres sont naissants comme en France. L'objectif est de dépasser 40% de verre recyclé dans les productions en 2030 contre 30% en 2023 et 20% historiquement" précise-t-il. Le sujet est facilité en France avec la loi anti-gaspillage pour une économie circulaire qui impose une meilleure gestion des déchets dans le bâtiment depuis 2022. 

Ce sont les réglementations qui ont poussé à la création de ce métier et qui servent encore d'arguments pour réaliser de véritables transformations. Au niveau européen, l'objectif de neutralité carbone d'ici 2050 a bousculé le secteur. "Les réglementations sont déjà contraignantes en Europe mais moins ailleurs", nuance Emmanuel Bart. Difficile de dépasser le niveau de leurs ambitions. Face à cela, le responsable de la décarbonation met en avant leur probable durcissement. "On doit être prêt à faire cette transition", affirme-t-il.

Fanny Breuneval

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