Près de 100 milliards d'euros de quotas gratuits distribués aux industries : les failles du marché carbone européen

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Publié le 02 décembre 2022

Le marché carbone, basé sur le principe du pollueur-payeur, est une chimère, selon le WWF Europe. L'ONG publie un nouveau rapport qui montre les défaillances de ce système d'échange de quotas carbone mis en place depuis 2005 et censé participer à la décarbonation de l'industrie européenne. Sa réforme est justement en cours de discussion au sein du trilogue européen.

98,5 milliards d’euros, c’est la somme que les industries les plus émettrices de gaz à effet de serre ont récupéré entre 2013 et 2021, sous la forme de quotas gratuits carbone. Une somme colossale à mettre en regard avec les revenus tirés du marché carbone et perçus par les États membres de l’Union européenne, soit 88,5 milliards d’euros sur la même période. Le marché européen des quotas d'émissions (ETS), mis en place dans l’UE depuis 2005, reverse donc plus d’argent qu’il n’en rapporte, selon des données publiées le 29 novembre par l’ONG WWF Europe.

L’objectif initial du marché carbone consistait pourtant à inciter les entreprises les plus émettrices à décarboner leur activité en leur imposant un prix du carbone. Environ 10 000 installations industrielles européennes (fournisseurs d'électricité et industrie lourde) y sont ainsi soumises. Mais, selon le WWF, 53% des émissions couvertes par l’ETS bénéficient de quotas gratuits, qui ont été mis en place afin d'éviter les délocalisations hors d'Europe de ces industries. "Cette analyse montre qu'au cours de la dernière décennie, l'ETS était basé sur le principe du "pollueur ne paie pas" - avec des milliards et des milliards d’euros de revenus sacrifiés que les pays de l'UE auraient pu investir dans la décarbonation de l’industrie", regrette Romain Laugier, Policy Officer au WWF Europe et auteur principal du rapport.

"Mettre fin aux quotas gratuits progressivement"

En outre, le document montre que les revenus perçus par les États à partir du marché carbone n’ont pas servi la transition écologique, contrairement à ce que prévoyait la directive européenne sur le sujet. L'analyse du WWF révèle qu’au moins 25 milliards d'euros, soit près d'un tiers de ces revenus n'ont pas été dépensés pour l'action climatique et appelle à ce que 100% des revenus issus du marché carbone aillent à l'action climatique.

"Il est clair que tout ce système doit être renforcé, et l'occasion de le faire existe aujourd'hui, lors des discussions du trilogue Fit for 55. Les négociateurs de l'UE devraient également supprimer progressivement les quotas gratuits dès que possible et, dans l'intervalle, s'assurer que les entreprises qui les reçoivent respectent des conditions strictes en matière de réduction de leurs émissions", ajoute Romain Laugier.

La réforme du marché carbone dans l'impasse

Eurodéputés et États membres de l'UE, réunis en trilogue, doivent en effet trouver un accord sur la réforme du marché carbone. La Commission européenne avait proposé de l'étendre au bâtiment et au transport routier, obligeant donc les fournisseurs de carburants et de fioul domestique à acheter sur un nouveau marché carbone des quotas couvrant leurs émissions de CO2.

Si les États approuvent ce principe, les eurodéputés veulent limiter ce mécanisme aux immeubles de bureaux et aux poids-lourds, s'inquiétant du surcoût pour les consommateurs en pleine flambée inflationniste. Bien qu’un fonds social alimenté par les recettes de ce nouveau marché viendrait soutenir ménages et entreprises vulnérables, eurodéputés et États se divisent sur son niveau et ses modalités. Ils restent également partagés sur la suppression graduelle des quotas gratuits, contrepartie de l'établissement d'une taxe carbone aux frontières de l'UE.

Un accord pour taxer le transport maritime

Un accord a en revanche été trouvé pour faire payer au transport maritime ses émissions polluantes. Les navires de plus de 5000 tonnes devront acquérir des "droits à polluer" sur le marché européen, de sorte à couvrir en 2025 au moins 40% des émissions du secteur maritime (sur la base des émissions enregistrées l'année précédente). Ce niveau s’élèvera à 70% en 2026, puis à la totalité de leurs émissions en 2027. Les plus petits navires, tels que les yachts de luxe, seront exemptés, mais les navires de fret et de croisières seront majoritairement concernés.

Responsable de 3% des émissions mondiales, le transport maritime, d'ici la fin de la décennie, "contribuera deux fois plus que le secteur automobile à notre objectif de réduction des émissions de CO2", a rappelé Peter Liese, eurodéputé du PPE (droite), rappelant que nombre de navires fonctionnent encore au fioul lourd.    

Concepcion Alvarez @conce1 avec AFP

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