Troquer le fioul des centrales thermiques par de la biomasse liquide en Corse et en Guyane ? Le retour d'expérience d'EDF à La Réunion

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Attention : il faut parler de presque 100% renouvelables, car il restera encore quelques turbines à combustion (TAC), alimentées au diesel, pour répondre aux pics de demande et équilibrer le réseau. La tentative d’Albioma de faire tourner une TAC au bioéthanol local produit par la distillerie Rivière du Mât s'est heurtée à la chute de la production de canne à sucre sur l’île.

Cela constitue tout de même une performance, qu’EDF SEI, l’entité d’EDF en charge des zones non interconnectés (ZNI), et EDF PEI, la filiale construisant et exploitant les centrales outre-mer, entendent bien répéter notamment en Guyane, avec la construction de la centrale du Larivot alimentée nativement à la biomasse liquide. Le projet prend néanmoins du retard : la construction a débuté en juillet 2023 pour une mise en service en 2026. Même ambition en Corse, avec la conversion de la centrale de Ricanto. Pour mémoire, les ZNI gérées par EDF SEI comprennent la Corse, la Guadeloupe, la Guyane, la Martinique, La Réunion, Saint-Pierre-et-Miquelon et les îles du Ponant (Sein, Ouessant, Molène, Chausey), mais excluent Mayotte, Wallis & Futuna ou la Nouvelle-Calédonie.

Gains en qualité de l'air et en foncier disponible

D’un point de vue technique, la conversion de Port-Est est plutôt un succès. Fort d’un premier test sur une centrale jumelle en Martinique et après 18 mois de préparation, la conversion à la biomasse liquide (produite à partir d'huile de colza par le groupe Avril) de la centrale de Port-Est a été menée sans encombre en six mois courant 2023. Profitant de la visite décennale de la centrale de 212 MW, mise en service en 2013, les trois cuves de 13 323 m3 ont été nettoyées et rincées pour accueillir la biomasse liquide incompatible avec le fioul lourd. Remplies, elles assurent une autonomie de trois semaines à la centrale. Toutes les trois semaines, un bateau de 10 300 m3 en provenance du port de Sète (Hérault) où Avril a son usine de transformation, assure l’approvisionnement. Le quai au pied de la centrale se transforme alors en quai de transbordement sous le contrôle des autorités portuaires.

Progressivement, sans arrêter la centrale, les 12 moteurs de la centrale ont, eux aussi, été nettoyés pour accueillir le nouveau carburant. L’unité de réchauffage et de purification du fioul lourd a pu être retirée. En novembre, la centrale de Port-Est, qui fournit 43% de la consommation d’électricité de l’île, tournait à 100% à la biomasse liquide. Outre la suppression de l’émission de 500 000 tonnes de CO2 par an, la conversion améliorerait aussi la qualité de l’air. «Port-Est n’émet plus de dioxyde de soufre et la quantité de poussières produites par la combustion a été divisée par huit», explique Alexandre Sengelin, le directeur du site depuis 2018. Grâce à sa conversion, le site aurait aussi pu s’affranchir de la certification Seveso, «mais, avec la Deal, nous avons décidé de la maintenir en seuil bas, car le site doit aussi héberger un stock de secours de 2500 tonnes de gasoil non-routier». En revanche, le périmètre de sécurité étant moindre qu’en seuil haut, la conversion redonne du foncier disponible. «La zone d’intervention autour du site passe de 900 mètres à 90 mètres», précise Alexandre Sengelin.

Une électricité chère à produire et un frein vers l'autonomie

Mais la conversion a un coût financier. L’électricité produite coûte 460 euros du mégawattheure (€/MWh), contre environ 360 €/MWh pour les pellets, 280 €/MWh avec le photovoltaïque et autour de 50 € MWh pour l’éolien terrestre et 10 € pour l'hydraulique, selon la Commission de régulation de l’énergie. La moyenne des coûts de production d’électricité dans les ZNI en 2021 était de 271 €/MWh et de 326 €/MWh en 2022. Sachant que l'année de crise énergétique, elle était de 267 €/MWh pour la Réunion, la plus basse des ZNI, contre 659 €/MWh à Saint-Pierre-et-Miquelon, la plus haute. Un surcoût invisible, les consommateurs des ZNI bénéficiant de la péréquation qui permet à EDF d’appliquer le même tarif régulé de vente (TRV) sur tout le territoire français.

Le recours à la biomasse solide ou liquide importé freine aussi les politiques publiques visant à atteindre l’autonomie énergétique des zones concernées. Dans la nouvelle Stratégie nationale bas-carbone, elle serait repoussée à 2050, au lieu de 2030 dans la Loi de transition énergétique pour la croissance verte de 2015. Car la biomasse liquide n’est pas productible localement. Outre le problème de foncier disponible, il est interdit d’importer des espèces végétales non endémiques à la Réunion. Et même en métropole, la production de ce biocarburant pose problème. Les cultures énergétiques de colza, ou de tournesol, sont limitées, même si elles produisent en coproduit des tourteaux pour l’alimentation animale. Le groupe Avril doit déjà importer une grande partie des graines d’Europe de l’Est. De plus, les nécessaires arbitrages sur l’usage de la biomasse qui se profilent pour répondre aux besoins de décarbonation des transports lourds, camions, bateaux et avions, pourraient se faire au détriment de la production d’électricité. D’ailleurs, EDF PEI ne sait pas d’où proviendra la biomasse liquide destinée à la centrale de Larivot en Guyane. Et ne dit rien sur son projet en Corse. Quant à la Martinique et la Guadeloupe, faute d’une révision récente de leur publication pluriannuelle de l’énergie locale (PPE), aucune conversion à la biomasse liquide n’est pour l’instant prévue.

Aurélie Barbaux, envoyée spéciale à la Réunion

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