Publié le 04 novembre 2021
L'augmentation inédite des coûts de l'énergie pourrait être perçue comme un moyen d’encourager la transformation des entreprises. Mais, dans les faits, il n'en est rien. La très forte volatilité des prix, l’absence de visibilité à long terme et les surcoûts qui réduisent les capacités d’investissements sont autant d'obstacles à cette indispensable transition vers des modèles de production plus sobres en énergie.
C'est une situation "ambiguë", estime ainsi Michel Frédeau, directeur associé du Boston Consulting Group (BCG). Si les dirigeants d’entreprises souhaitent réduire leur consommation et leur facture énergétique, paradoxalement, la hausse des coûts de l’énergie peut freiner cette ambition. "D’un côté, il faut que l'énergie soit chère pour encourager les investissements mais le problème est aussi de savoir comment gérer cette transition et comment la planifier pour la rendre accessible", détaille le spécialiste de la transition écologique.
Les dirigeants déplorent justement une impossible planification des investissements en raison d’une absence de visibilité. "Les décisions stratégiques de décarbonation de nos procédés industriels sont suspendues. Dans un contexte où l’incertitude est élevée, des entreprises hautement consommatrices d’énergie choisissent en effet de différer le remplacement de leurs chaudières par exemple, ne sachant pas quelle source d’énergie choisir", alerte Nicolas de Warren, président de l’UNIDEN, Union des industries utilisatrices d'énergie. "Le marché européen de l’électricité n’offre pas la visibilité prix indispensable à notre décarbonation d’ici 2050. Résultat : des investissements sont reportés et le secteur prend du retard", ajoute le représentant.
"Sans marge nous ne pourrons pas poursuivre notre transformation"
Par ailleurs, les hausses de prix privent les entreprises de la manne financière nécessaire à leur transformation pour être moins énergivores. Dans le secteur de la papeterie, l’énergie est un important poste de dépense alors "où trouver des marges de manœuvre pour investir dans la réduction des émissions ?", s’interroge Olivier Riu, représentant du syndicat Copacel des papetiers. Le secteur a déjà engagé sa transition avec notamment la mise en place de cogénération à partir de la biomasse mais pour poursuivre, "nous demandons un accompagnement des sociétés pour amortir les investissements", précise le porte-parole qui plaide aussi pour le maintien des "dispositifs de soutien à la décarbonation de nos industries".
L’agro-alimentaire, un secteur également hautement consommateur d’énergie, vit une situation comparable. "En début d’année, nous avons changé tous les brûleurs de nos chaudières pour économiser de l’énergie. Nous souhaitons poursuivre les travaux pour décarboner davantage nos ateliers. Mais sans marge nous ne pourrons pas investir et poursuivre notre transformation", alerte Philippe Heimburger, PDG des pâtes alimentaires Grand’Mère.
Les pouvoirs publics entendent le désarroi des industriels. "La décarbonation de notre économie va passer pour partie par l'électrification des systèmes mais, pour investir, il faut de la visibilité, or les prix actuels et la volatilité sont des freins unanimement cités par les industriels", reconnaît le ministère de l’Economie. Nicolas de Warren plaide ainsi pour un "retour au nucléaire qui offre une base de coût compétitif, de la visibilité et des volumes suffisants". De son côté, Michel Frédeau, directeur associé du Boston Consulting Group (BCG), défend "une plus grande efficacité énergétique basée sur des sources renouvelables et une baisse de la demande".
Le gestionnaire du réseau électrique français (RTE) tente de réconcilier ces points de vues. Il a présenté six trajectoires de décarbonation afin de se passer totalement des énergies fossiles tout en garantissant la sécurité d’approvisionnement. Une chose est certaine : il faudra développer les énergies renouvelables qui devront couvrir au minimum 50 % de notre consommation d’électricité d’ici 2050, prévoit-il.
Mathilde Golla @Mathgolla