Publié le 11 septembre 2023
Le continent africain s'impose de plus en plus sur la scène climatique internationale. Avec son premier sommet consacré au sujet, l'Afrique a envoyé un signal clair au reste du monde : elle veut devenir la championne de la transition énergétique. À condition que les ressources produites servent en priorité aux Africains et pas seulement à l'exportation.
Le premier Sommet africain pour le climat, qui s’est tenu du 4 au 6 septembre, peut être considéré comme un succès. Malgré les divergences entre les pays, il a débouché sur la Déclaration de Nairobi, un document important qui servira de base à la position commune de l'Afrique dans les négociations climatiques mais aussi pour les Assemblées annuelles du FMI et de la Banque mondiale en octobre à Marrakech. L’un des axes mis en avant dans ce texte est la volonté du continent de devenir un acteur central de la transition énergétique. Les pays africains, qui ne reçoivent que 3% des investissements mondiaux, demandent à la communauté internationale de les aider à "passer de 56 gigawatts en 2022 à au moins 300 gigawatts de renouvelables d’ici 2030".
L’Afrique dispose en effet d’un gigantesque potentiel de développement des énergies renouvelables. Selon une étude récente, celui-ci serait 50 fois plus important que la demande mondiale en électricité prévue à l’horizon 2040. Le continent abrite également 40% des réserves mondiales de cobalt, de manganèse et de platine, essentiels pour les batteries et les piles à hydrogène. "Les énergies renouvelables pourraient être le miracle (économique) africain", a ainsi estimé Antonio Guterres, le secrétaire général de l'ONU, qui a appelé à faire de l'Afrique "une superpuissance des énergies renouvelables".
L'Afrique du Nord, 1er exportateur mondial d’hydrogène vert en 2050
De fait, tous les regards se tournent désormais vers l'Afrique. Pour montrer leur bonne volonté, les Émirats arabes unis, pays hôte de la COP28, ont promis 4,5 milliards d'investissements dans les énergies propres dans la zone. L’Union européenne a aussi lancé l'initiative Global Gateway, un plan d’investissement de 300 milliards d'euros à destination du continent. "Un partenariat gagnant-gagnant, a rappelé depuis Nairobi la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen. En accélérant la transition vers les énergies solaire et éolienne, les emplois dans le secteur de l'énergie en Afrique pourraient doubler d'ici à 2030. Et l'Afrique pourrait produire suffisamment d'énergie propre non seulement pour alimenter votre continent, mais aussi pour l'exportation."
Une étude du cabinet Deloitte, publiée cet été, estime ainsi que d'ici à 2050, l'Afrique du Nord pourrait être le principal exportateur d’hydrogène vert, produit à partir d’énergies renouvelables, au monde. Alors que certains pays industrialisés densément peuplés vont rapidement manquer d’espaces pour installer des champs éoliens et solaires, à l’instar de certains pays d’Europe, de nombreux pays en développement peuvent tirer parti de grandes réserves de terres disponibles et ensoleillées comme par exemple, plus de 80% du territoire en Algérie, au Maroc, et en Afrique du Sud, pointe le rapport.
Mais le risque que soulignent plusieurs observateurs, est que ce développement massif vers les énergies renouvelables ne profite pas aux Africains, et soit entièrement tourné vers l’exportation, à l'instar de ce qu’il s’est passé avec les énergies fossiles. Aujourd’hui, encore près de la moitié de la population africaine n’a pas accès à l’électricité. "Il est possible que la transition vers les énergies renouvelables engendre très peu d’avantages sociaux et une transformation politique et économique limitée, voire aucune", prévient le rapport "Just Transition: A Climate, Energy and Development Vision for Africa", coécrit par un collectif d’experts indépendants.
"L'enjeu est d'éviter que cette énergie propre soit pillée"
"Tout l'enjeu va être d'éviter que cette énergie propre soit pillée, confirme à Novethic Sébastien Treyer, directeur général de l'Iddri. Il y a beaucoup de mirages sur l'hydrogène vert transporté sur de longues distances. Mais même si l'hydrogène vert est utilisé localement, il faudra s'assurer qu'il va servir la trajectoire d'industrialisation du pays, ce qui est loin d'être gagné." Il cite l'exemple de la Namibie qui a d'abord accueilli la proposition de l'Allemagne de produire de l'hydrogène vert entièrement destiné à l'export. Puis, le pays a introduit comme condition préalable l'accès à l'électricité de ses habitants et enfin l'accès à l'électricité pour industrialiser le pays.
"Petit à petit, un pouvoir de négociation s'exerce de la part des gouvernements africains, notamment sous la pression de la société civile. Le problème c'est que nous sommes dans une véritable course contre la montre : les pays ont besoin de devises pour investir dans leur propre développement", explique le spécialiste. Le rapport de forces évolue en tout cas en faveur de l’Afrique. "Nous constatons que les gouvernements africains cherchent des moyens de garantir que les ressources ne seront pas seulement exportés hors du continent, mais que la valeur ajoutée se produira sur le continent" assure le Dr. Olumide Abimbola, fondateur et directeur de l'Africa Policy Research Institute.
C'est aussi le message qu'a voulu faire passer Ursula von der Leyen. "Nous n'avons pas pour seul intérêt l'extraction de ressources. Nous voulons être votre partenaire dans la création de chaînes de valeur locales sur le sol africain. Nous voulons partager la technologie européenne avec vous. Nous voulons investir dans les compétences de la main-d'œuvre locale", a-t-elle insisté depuis Nairobi, où elle a justement signé un nouveau partenariat pour l'hydrogène entre le Kenya et l'Union européenne. Celui-ci donne la priorité à "l'expansion économique, à la création d'emplois et à la promotion de la gestion environnementale", a assuré le président de la République du Kenya, William Ruto, nouveau visage du leadership climatique africain.